Les emplois imaginaires et le désert
Les emplois imaginaires et le désert

Les emplois imaginaires et le désert

Le frigo vide, des milliers d’étudiants ou de jeunes autoentrepreneurs font la queue pour obtenir une boîte de conserves, quelques légumes fatigués et des pâtes premier prix. Un tiers des sans-abris sont d’anciens enfants protégés par l’Aide Sociale livrés à la morsure de la rue faute de soutien public. La jeunesse de quartiers populaires ou de villages se retrouve confiné sans perspective d’emplois ni de départ du domicile familial. On pourrait multiplier les exemples d’une précarité galopante. La cause est-elle nouvelle ? Non. Depuis vingt ans, des associations crient dans le désert sur le sort de la jeunesse. La crise du Covid a massifié le problème. Le trou percé dans le filet de la protection sociale est devenu un gouffre qui engloutit et dévore les jeunesses populaires.

Les gouvernements se succèdent et refusent d’étendre un revenu minimum aux jeunes de 18 à 25 ans, un plancher pour se tenir debout et manger à sa faim. Depuis quelques mois, le Gouvernement de Jean Castex cache la misère avec une opération de communication. Il faut aller visiter les yeux écarquillés par le vide du site Internet « un jeune une solution » affichant des offres de Pôle Emploi ou la description bureaucratique des dispositifs existants.

Les hommes du président se taisent ou couvrent cette injustice. Dans une tribune récente, Martin Hirsch reconnaît la nécessité d’un revenu mais refuse l’extension du RSA. Il propose « une garantie jeunes universelle » dont rien ne garantie l’universalité. Trois raisons sont avancées : « plus on a de diplômes, plus on a de chances de pouvoir assurer son emploi » ; « le statut [des jeunes] change vite » ; « [les jeunes sont] plus mobile géographiquement et professionnellement ».

La première affirmation est vraie. Mais quel est le lien entre la forme d’un revenu minimum et des inégalités générées par le système éducatif, l’origine sociale ou les dysfonctionnement du marché du travail ? Aucun.

Poursuivons : en quoi le RSA serait-il moins adapté aux changements de statuts de ses allocataires que la Garantie Jeunes ? Quelle vue de l’esprit pousse à croire que les concernés seraient plus mobiles alors qu’ils cumulent les précarités ? Un jeune sans revenu ne déménage pas de l’autre côté de la France pour un contrat à durée déterminée de trois mois ou une mission d’intérim. Des jeunes au chômage ne trouvent pas de bailleur prêt à vous louer une chambre sans de solides garants. Dans quel monde vit Monsieur Hirsch ? Comment peut-il affirmer sans vergogne quand les universités sont à l’arrêt et que la jeunesse souffre confinée chez elle à 18 heures que l’on pourrait créer des « prêts contingents » pour « faire une grande école » ?

Ces arguments masquent mal une défense de la rhétorique néolibérale qui a présidé à la création du RSA : il faut à tout prix « activer les jeunes », conserver des incitations à rejoindre le marché du travail, promettre l’accès à des emplois imaginaires et des formations inexistantes, proposer un mirage aux jeunes qui traversent le désert.

Certaines positions sociales aveuglent. Par trois fois, Monsieur Hirsch indique que ses propositions se font « dans l’intérêt du jeune ». Cette expertise omnisciente sur un « jeune théorique » est une chimère. Écoutons les jeunes eux-mêmes quand ils s’expriment, débattent et définissent leur intérêt comme lors des « Parlements libres de jeunes » organisés par des associations d’éducation populaire. Les histoires de vie diffèrent grandement de la mobilité fantasmée par Martin Hirsch. Des jeunes mis à la porte par leurs parents. Des jeunes ayant besoin de soin face à la maladie mentale. Des jeunes sans ressources incapable de poursuivre leurs études. Des jeunes discriminés pour leur couleur de peau, leur accent, leur quartier d’habitat délaissés de tous. Ces jeunes ont besoin d’être protégés immédiatement pour que leur flamme intérieure ne s’éteigne pas dans le gouffre qui les aspire.

La transformation du RSA en un véritable Revenu Garanti sans contreparties et d’un accompagnement de qualité sera nécessaire. Mais en attendant que prime l’urgence ! Étendre la « garantie jeunes », un dispositif ciblé porté par les missions locales prendrait des mois de négociation, d’embauches, d’obstacles administratifs et informatiques. La logistique compte quand la maison brûle ! On en a déjà payé le prix. Une solution simple dans son principe et dans sa mise en œuvre existe : ouvrir le RSA dès 18 ans pour tous les jeunes n’habitant plus chez leurs parents. Au Gouvernement de proposer son adoption pour que la solidarité de la nation amortisse les souffrances des jeunesses populaires.