La pauvreté a de beaux jours devant elle
La pauvreté a de beaux jours devant elle

La pauvreté a de beaux jours devant elle

La pauvreté a de beaux jours devant elle. La Première Ministre Elisabeth Borne a présenté sa politique de lutte contre la pauvreté aux associations concernées1 dans un discours édifiant et indigent. Retenons trois points.

  • Pour le Gouvernement, la pauvreté est un dilemme moral. Elle est seulement définie comme un « défi du quotidien pour toutes celles et ceux qui y [s]ont confrontés. Personne ne peut rester impassible » La souffrance d’un côté et la compassion de l’autre. Aucune analyse politique dans ce discours. On met en avant les devoirs mais pas le pouvoir. Pour elle, la pauvreté n’a rien à voir avec les inégalités économiques ni avec le déficit démocratique. Dans ce discours, le Gouvernement fait de l’humanitaire. Il préfère augmenter l’aide alimentaire que les revenus des personnes pauvres.
  • La Première Ministre présente un catalogue de mesures hétéroclites devant des associations triées sur le volet. « Il faudrait qu’on dise quelque chose sur l’éducation ? Ah oui, c’est vrai, ajoutons la réforme du lycée professionnel. Et sur la précarité énergétique ? MaPrimeRenov ! C’est bien MaPrimeRénov, c’est une aide concrète et précieuse. Et l’insécurité ? Il y en a aussi dans les quartiers pauvres ! Ok, je vais leur dire qu’on a créé 10 000 postes de policiers et de gendarmes durant le précédent quinquennat. […] ». Le marketing politique est parfois bien exécuté. Emmanuel Macron avait réussi à masquer l’injustice de son premier plan dans un discours haut et en couleur. On est passé de la grandiloquence sans conséquence au recyclage de mesures existantes.
  • On peut interpréter les silences. Pourquoi taire la réforme qui oblige les allocataires du RSA à réaliser 15 heures d’activité hebdomadaire ? Ou la réforme de l’assurance chômage qui a amputé les droits et diminué les allocations ? Pourquoi refuser d’évoquer l’indexation préventive ou même – soyons fous – la revalorisation des minima sociaux alors que l’inflation flambe ? Pourquoi éviter le débat sur une allocation aux étudiants quand la moitié d’entre eux réduisent leur alimentation ? Pourquoi ne rien dire sur les inégalités salariales ou l’explosion des dividendes ?

Pour eux, la pauvreté est un problème du quotidien, une case à cocher dans l’agenda médiatique. Pour ce Gouvernement, la pauvreté n’est pas un rapport social mais une occasion de compassion. Ce n’est pas un rapport de domination où les personnes sont niées dans leur voix, dans leur parole politique mais un devoir d’améliorer la distribution des surplus alimentaires de la grande distribution.

Il n’y a aucun lien
entre la crise de l’hébergement d’urgence et la spéculation immobilière (avec avantage fiscal),
entre les problèmes d’accès aux soins et les hôpitaux sinistrés,
entre la faiblesse des minima sociaux et les diminutions d’impôts sur le revenu.

Le social est un amortisseur de l’économie, les miettes du gâteau, la marre du ruissellement.

Sur certains « produits du quotidien, les distributeurs ont accepté de réduire leurs marges » murmure Elisabeth Borne. Qu’est devenue la puissance publique ?

Où est le glaive de la loi ? Dans le fourreau des baisses d’impôt.

Pour eux, la pauvreté n’a rien à voir avec le partage de la valeur ajoutée et tout à voir avec ces glandeurs qui ne veulent pas retourner sur le marché du travail. Il faut diminuer le coût des personnes peu qualifiées et améliorer la flexibilité par la diminution des droits. Les minima sociaux désinciteraient à l’embauche.

« C’est par le travail qu’on peut s’en sortir » assène la Première Ministre. Mais qu’ont-ils fait du travail ? Les salaires sont bas. Les conditions sont dégradées. Les petits commerçants, les intérimaires, les paysans sont essorés.


L’usine a fermé ? Créez votre entreprise !

Vous êtes réfugié ? Attendez la réponse de la préfecture !

Handicapé ? Il doit bien y avoir une formation.

Vous avez des enfants en bas âge ? On va créer 200 000 places de crèches ! On en a créé 15 000 lors du premier quinquennat mais ça va changer…

La liberté pour les détenteurs du capital – faites un don aux Restos du cœur !

La carotte pour les travailleurs précaires – merci la prime d’activité et la prime de reprise d’activité.

Le bâton pour ceux qui ne sont rien – et c’est tout.

Que fait-on des 5 millions de chômeurs2? Sont-ils condamnées à la pauvreté ? Pourquoi ajouter l’infamie à la misère ?


Pour nous, la pauvreté est un problème politique. Les voix des pauvres et des précaires sont étouffées alors qu’elles sont indispensables à la cohésion nationale. Éradiquer la pauvreté est à la fois possible et nécessaire si nous formulons une ambition à la hauteur des dominations croisées capitalistes, patriarcales, productivistes et racistes. Notre responsabilité ne se limite pas au scandale de la faim et de la rue. Notre responsabilité est d’offrir à toutes et tous un monde où déployer ses talents.

C’est à ce titre que nous devons créer une forme d’égalité politique où la main qui donne n’est pas au-dessus de celle qui reçoit. A nous d’en finir avec la compassion misérabiliste et de réaliser les droits inaliénables et sacrés que nous avons énoncés il y. a deux siècles déjà.

Cet horizon de liberté est possible. A nous de l’atteindre pour que la pauvreté n’ait pas de beaux jours devant elle.


NB : La Première Ministre annonce « une augmentation de 50% des crédits dédiés à la lutte contre la pauvreté par rapport à la stratégie précédente ». Aucun chiffrage n’est donné. On doit la croire sur parole. Or, la première « stratégie » était déjà une opération de communication avec une compilation de chiffres sortis des quatre coins du budget de l’État et de ses partenaires comme la branche famille. Dans cette stratégie, la diminution des APL n’était pas prise en compte (on n’oublie pas) ni même l’augmentation de l’allocation versée à une partie des personnes en situation de handicap qui aurait pu être mis au crédit du Gouvernement Philippe.

1Son discours du 18 septembre 2023 est accessible sur le site du Gouvernement

2 Selon Pôle Emploi, en 2008, il y avait 2 millions de personnes sans emploi et 1 million de personnes inscrites au chômage en sous-activité. En 2023, il y a 2,8 millions de personnes sans emploi et 2,2 million en sous-activité.