#5 Une démocratie à ciel voilé
#5 Une démocratie à ciel voilé

#5 Une démocratie à ciel voilé

Je ne me sens pas libre si je n’appartiens pas à une communauté politique démocratique. Cette crise s’est superposée à une campagne électorale surréaliste. On ne savait pas si on allait voter ou se contaminer. Mais au-delà de cet épisode, notre capacité à délibérer prend des coups que ce soit au niveau de notre régime de droit où la loi nous gouverne (rule of law) qu’au niveau de notre démocratie parlementaire.

Le président de l’Assemblée Nationale préside la mission d’information qui interroge le Gouvernement sur l’état d’urgence sanitaire alors qu’en Nouvelle-Zélande, c’est le chef de l’opposition qui le fait tous les jours. La rhétorique du chef d’État appelant au rassemblement face à la « guerre » est nauséabonde car elle étouffe notre capacité à débattre de nos désaccords et de nos conflits. Qu’un poème aussi important que la Rose et le Réséda, qui symbolise l’alliance de l’Église et du communisme au temps de la Résistance soit mis au service de cette rhétorique me dégoûte.

Bien sûr qu’il y a du retard dans les mesures de confinement n’en déplaise au Premier Ministre. Ce que François Sureau argumente admirablement bien. Nous sommes considérés comme des sujets et non comme des citoyens.

Et quand je dis nous, je désigne le peuple mais aussi les collectivités locales, les associations, les syndicats, les médias. Face à la mobilisation civile, est-ce le rôle des préfets et du Ministère de l’Intérieur de contrôler, de centraliser et d’organiser. C’est le Minitel au pouvoir. En masquant les jeux de couloirs et d’influence. Telle commune aura son marché quant telle autre ne l’aura pas.

Ne peut-on pas imaginer relier les formes de solidarité en conservant polycentrisme et diversité ? Pourquoi vouloir créer des réserves citoyennes plutôt que de soutenir les initiatives émergentes ? Domestiquer plus qu’arroser. Dresser plus que nourrir la terre.

Pour apporter un voile de légitimité à la technocratie, on brandit la caution scientifique. Sans contester l’apport de la science aux décisions politiques, celles-ci ne s’y réduisent pas. Le déni scientifique est un crime – pour le coronavirus comme pour le climat. Mais la science ne prescrit rien. Elle fonde, elle conseille mais ne peut résoudre les problèmes. Elle décrit le nœud gordien mais ne sait pas le trancher. C’est là que réside la grandeur et la forfaiture des décideurs politiques. Dans leur capacité à choisir entre délibération et violence, entre justice et privatisation, entre lâcheté du mensonge et courage de la vérité.