#8 Chaque mort a un nom
#8 Chaque mort a un nom

#8 Chaque mort a un nom

Partout, des courbes, des nuages de points, des graphiques. Des lignes qui montent, se stabilisent, descendent, pourraient remonter. On regarde. On compare. On critique. On compte mais est-ce que ça compte ? Est-ce cela une pandémie ?

Quand la mort s’invite dans nos vies, elle a un nom. Il y a quelques jours, la maman d’un ami. Du Covid-19. Dans un établissement pour personnes âgées. On l’appelait Maggie. Je ne l’avais pas vu depuis des années. J’en avais un souvenir vague. C’était la mère d’un pote de lycée– ce mot paraît aussi vieux que le siècle dernier. Une femme avenante qui nous a accueilli, nourri, couvé des yeux quand on était dans notre bulle adolescente. J’aurais aimé être aux côtés de son fils et de ses enfants à l’enterrement. Mais on est resté à distance. En témoignant notre présence d’une photo, d’un mot, d’une bougie. Geste dérisoire et essentiel.

Malgré le chagrin et les honneurs à rendre à ceux qui sont partis, des familles se trouvent face à un mur de silence et au refus de regarder une dernière fois le visage du défunt. Je comprends l’angoisse des employés des pompes funèbres et la nécessité de les protéger mais en sommes nous incapables ? Qu’est-notre humanité devenue ?

Hier soir, j’ai reçu un mail du Brésil. Soninha est décédée. Du diabète et de la pauvreté. On meurt encore de ces choses-là malgré les fortunes. Elle ne pouvait pas se soigner. Elle m’avait accueilli, inconnu, étranger dans sa petite baraque en parpaing et sans fenêtre. Dans une rue cabossée d’un quartier reculé de Barra Mansa. Une petite ville industrielle de Volta Redonda sur la route Rio-São Paulo.

Dans cette ville, dans cette rue, dans cette maison, il y avait une femme rieuse, humble, engagée dans sa communauté. Elle vivait avec ses parents, sa sœur, ses neveux et nièces et quelques poules. Elle avait ouvert sa porte et son rire. La cuisine était minuscule. On mangeait tous les midis et tous les soirs du riz des haricots noirs. Le bonheur rayonnait d’amitiés et de joies simples. Elle ne vit plus.

Elle n’aura pas la chance de voir les statistiques de la pandémie actuelle. Elle est morte du manque de médicaments, de soins, de services publics et de partage des richesses Au Brésil comme ailleurs. Son décès n’a aucun sens. Nous ne sommes pas confinés hors d’un paradis perdu. Les vivants ont un nom et les morts aussi.

1. Confucius, Entretiens, Les Belles Lettres, 2019, citation p.32