Briser la férocité du silence
Briser la férocité du silence

Briser la férocité du silence

Imagine : tu quittes Paris pour retourner habiter dans le village du Morvan de 600 habitants où tu as grandi. Tu retapes ta maison, tu fais ton jardin et pas mal d’aller retour vers la capitale.

Imagine : tu t’investis localement. Tu fais du sport. Tu deviens trésorier puis président du centre social. Tu retrouves des amis perdus de vue et en rencontre d’autres.

Imagine : tu as été agressé sexuellement par un homme il y a des années de cela, un épisode tombé dans l’oubli et remonté peu à peu à la surface. Cet homme reconnaît les faits dans le cadre d’un processus de justice restaurative. Cela t’apaise un peu mais…

Imagine : le maire de ton village démissionne et ton agresseur se présente aux élections. Sans te prévenir. Sans mea culpa. Avec la certitude de gagner et d’être soutenu par les notables du coin.

Imagine : tu ne veux pas laisser le silence s’installer. Tu parles et même tu montes une liste pour ne pas le laisser diriger la commune comme si de rien n’était.

Imagine : tu te heurtes à toutes celles et tous ceux que le silence arrange. Le journal local qui sert à ramasser les épluchures relaie avec complaisance le point de vue des agresseurs.

Imagine : tu perds l’élection. Ton agresseur est élu maire. Le silence se fait marbre. L’accablement guette et la solitude grandit. Les regards se détournent. La violence impose sa loi.

Sauf. Sauf si on refuse la résignation. Sauf si on en parle.

L’agresseur s’appelle Emmanuel Monnier et a été élu maire de Brassy le 10 mai 2024.

La victime s’appelle Romain Beaucher. C’est un ami au courage extraordinaire comme toutes les victimes, surtout et d’abord des femmes, qui ont brisé la férocité du silence.

Romain, je veux te remercier du fond du cœur de ne pas avoir baissé les bras, de ne pas avoir baissé la voix, de ne pas avoir baissé les yeux face à ton agresseur. C’est dans ton monde que je veux vivre et pas dans le leur.

[Extrait du Journal du Centre paru en mai 2024 après l’élection. J’ai publié ce billet avec l’accord et après la relecture de Romain.
Peinture de Joan Mirò, Silence, 1968. Exposition au Musée de Grenoble]